En Belgique
Quinze ans après la mort de Mélanie, et après sa quasi-disparition en France, l’Ordre de la Mère de Dieu va renaître en Belgique, à partir de 1919. En effet, la transmission de l’Ordre va s’opérer, à cette époque, de Maranville à Louvain (Leuven). En voici les circonstances :
Mgr Mercier, archevêque de Malines, a le projet en 1919 de fonder un Ordre religieux pour lequel il rédige un commencement de Règle. Mais celui-ci rencontre un grand nombre d’objections. Devant la difficulté, et le refus du chanoine Thiéry de se charger de la rédaction1, les religieuses carmélites de Louvain proposent la Règle de Notre-Dame de la Salette dont elle possède un exemplaire. Elle est adoptée, parce qu’elle répond à l’attente du cardinal Mercier, en ce qu’elle unit la vie contemplative à la vie active2. Cependant, bien que l’Ordre de la Mère de Dieu n’ait pas été érigé en congrégation, il existe et il a connu des essais de fondations (Maranville). Il faut que s’opère une transmission. Et c’est ainsi que Mère Saint-Jean, sollicitée en 1921, va transmettre son généralat à Mère Agnès de la Croix (Mlle Berthe Carton de Wiart), désignée par le cardinal Mercier, qui devient donc la troisième Mère supérieure de l’Ordre (après Mère Saint-Joseph et Mère Saint-Jean). De la même manière le chanoine Rigaux accepte de transmettre en 1924 le Supériorat général au chanoine Armand Thiéry, lui-même pressenti par le cardinal Mercier.
En 1924, on peut considérer par conséquent que l’Ordre de la Mère de Dieu est implanté dans le diocèse de Malines, d’autant que cette année-là le Vicaire général de Malines, Mgr Van Roey confirme par écrit que « les Retraites [sont] autorisées à la Maison du Béguinage et qu’il n’y a « pas d’obstacle à l’application de la Règle de la MÈRE de DIEU. » Cependant, l’Ordre de la Mère de Dieu n’a pas été érigé en une congrégation par le cardinal Mercier,
Le couvent s’installe au Grand Béguinage de Louvain jusqu’à la mort de Mère Agnès de la Croix3 en 1946. Il le quittera plus tard en 1952, pour une propriété acquise avant-guerre (1937) par le chanoine Thiéry en proximité de Louvain, à Park Heverlee, où sera construit un important couvent4. C’est dans ce couvent que la fondation de l’Ordre de la Mère de Dieu de Louvain s’éteindra après la mort du chanoine Thiéry en 1955 tandis qu’un nouveau Supérieur général, le père de Smets, des ermites de saint-Augustin, mettra la fondation en veille (sur les conseils de son évêque). Mère Marie-Chantal (Mlle Marguerite Marie Jacquemin), prieure5, finira sa vie solitaire, à Bruxelles, après avoir fêté son jubilé de 60 ans en tant que Fille de la Mère de Dieu. Les corps du chanoine Thiéry et de Mère Agnès reposent toujours dans un mausolée à Park Heverlee.

Les témoignages sur la vie de la communauté laissent une impression mitigée, et les vocations y sont restées peu nombreuses depuis l’origine, moins par manque de postulantes que du fait que les professions religieuses furent très peu nombreuses6. On retrouve les « quelques petits oiseaux de passage » dont il a été question à Maranville. Le généralat de Mère Agnès n’est pas en cause, mais il semble bien que la rigueur de la Règle ait écarté des vocations mal assurées ou qui, à tout le moins, n’imaginaient pas une existence aussi abandonnée que celle des Filles de la Mère de Dieu.
Parmi les faits marquants de ces années, on mentionnera l’attitude courageuse du chanoine Thiéry et de Mère Agnès de la Croix durant la Seconde Guerre Mondiale. Le premier avait déjà fait preuve du même courage après le bombardement de Louvain en 1914 lorsqu’il s’était substitué à la municipalité défaillante. Pour son action durant la Seconde guerre, il sera déclaré Juste parmi les nations. Mère Marie-Chantal sera pour sa part arrêtée par la Gestapo pour actions de résistance et déportée.
On retiendra surtout la fondation de deux filles de la fondation de Louvain : à Gembloux et, en France, à Saint Lambert du Lattay (Maine-et-Loire). Le 23 avril 1936, en effet, Mgr Heylen (1856-1941), évêque de Namur a autorisé une modeste fondation de l’OMD dans son diocèse. Le chanoine Thiéry y désigne comme supérieure une religieuse de Louvain, Mlle Anne Gérard (Sœur Marie-Françoise). Cette fondation aura une brève existence. Plus ambitieuse est celle, par Sœur Claire (Mlle Germaine Blanchard), du couvent de Saint-Lambert-du-Lattay.
En France
Parce que son frère, vigneron à Saint-Lambert-du-Lattay, en Anjou, livre du vin de messe au chanoine Thiéry, Germaine Blanchard, née en 1891, responsable de la Ligue féminine d’Action catholique du diocèse d’Angers, va entrer en relation avec la communauté des Filles de la Mère de Dieu de Louvain.
Convaincue, elle entre en noviciat en 1928, année de sa « Prise de Croix », et prononce ses « Premiers vœux » l’année suivante. A la demande de Mère Agnès et du chanoine Thiéry, elle regagne Saint-Lambert-du-Lattay en 1929, et prend possession, en 1930, d’une maison7 où elle fonde une Ecole ménagère rurale et un couvent. Tout s’effectue avec l’approbation de Mgr Rumeau, évêque d’Angers, et de Mgr COSTE, son évêque coadjuteur qui donne son imprimatur à une
Notice [1931] sur les religieuses dites « FILLES DE LA MÈRE DE DIEU » dont la règle a été autorisée par l’autorité religieuse tant de Rome (Souverain Pontife et Sacrée Congrégation des Évêques et religieux) que des Évêques, et dont la Maison-Mère est établie à Louvain (Belgique) par S. E. le Cardinal Mercier (7 avril 1921).
Comme la fondation de Louvain, avec l’approbation du cardinal Mercier, la fondation commence par conséquent sous les meilleurs auspices. La « Profession » de Sœur Claire se déroule à Louvain le 16 août 1934. Malheureusement, pour des raisons de « bonne et saine administration », Mgr Rumeau demande au chanoine Thiéry une preuve de l’érection de son couvent de Louvain, qu’il ne peut fournir, car le cardinal Mercier n’a jamais donné qu’une autorisation orale. Grave lacune, et c’est Mgr van Roey, son successeur, qui répond à Mr Rumeau :
« Il est de mon devoir de faire savoir à votre excellence que ladite Maison de Louvain n’est pas, à notre connaissance, une Institution religieuse, au sens canonique du mot. Jamais, ni le cardinal Mercier, mon illustre prédécesseur, ni moi-même, n’en avons autorisé, ni approuvé l’érection ; au surplus, les dispositions canoniques concernant les Communautés religieuses n’y sont pas observées. C’est donc tout au plus une institution pieuse, vivant en dehors du contrôle de l’Archevêché » (1935).
La maison des Filles de l’Ordre de la Mère de Dieu à Saint-Lambert du Lattay, de la même manière qu’à Maranville et à Louvain, ne sera pas autre chose désormais qu’une « pieuse union » (pia solidalitas).
Cependant, les novices se pressant, Sœur Claire fonde une deuxième Maison à Saumur dès 1936, et en 1941, le couvent est retenu pour assumer une Mission de Restauration Rurale. Dans le même temps (1941), elle obtient l’autorisation du cardinal Suhard (1874-1949) d’une nouvelle implantation :
Son éminence le Cardinal Archevêque autorise volontiers les Sœurs de la Mère de Dieu à exercer leur apostolat dans le diocèse de Paris, et approuve leur installation rue Lamarck à l’œuvre de l’Union d’Entr’aide aux Prisonniers, où elles se dévoueront auprès des petits enfants.
Grâce au vicaire général de Versailles, Mgr Millot, d’autres permissions sont données, au cours des années d’occupation, par Mgr Roland-Gosselin : à Gargenville, à Bray-et-Lû (Val d’Oise), mais cette fois ce sont les postulantes qui font défaut. Comme à Louvain, les « petits oiseaux de passage » ne sont pas allés au-delà de leur « Premiers vœux » et ont quitté progressivement la communauté.
De défection en défection, Sœur Claire se retrouve seule au sortir de la guerre. Certes, elle continue de diriger son Ecole ménagère rurale qui accueille depuis la fin de la guerre des orphelines. Mais elle ne porte plus l’habit et les aides qu’elle recrute ignorent l’histoire du couvent et même sa qualité de religieuse8.
Sœur Claire meurt en 1957, deux ans après le chanoine Thiéry, et son œuvre disparaît l’année suivante.
Et aujourd’hui
C’est dans le Yucatan, à Mérida (Mexique), qu’il faut aller aujourd’hui pour rencontrer une communauté de Filles de la Mère de Dieu : Las Misioneras de la Madre de Dios, appelée en 1980 par le père sulpicien Robert Louis Russell (1929-2010) pour soutenir son Collège Biblique Apostolique, et érigée depuis 2010 en congrégation religieuse – ou, plus proche de nous, à Malemort du Comtat, dans le diocèse d’Avignon, où trois sœurs Missionnaires d’origine mexicaine, issues de cette même communauté, sont installées depuis 2017 .
Les Missionnaires de la Mère de Dieu
« Les pères de la Salette sont missionnaires de la Salette – tandis que ceux d’Italie sont missionnaires de la Mère de Dieu, et ils observent sa Règle », écrivait Mélanie en 1904. Ainsi en est-il depuis plus de quarante ans au Mexique (1980), à Merida, pour les Misioneras de la Madre de Dios.
En 1975, le père Robert Russell, professeur au Grand Séminaire de Mérida, fondateur d’un Collège biblique apostolique dans cette même ville, entre en contact avec l’Association des Enfants de Notre-Dame de la Salette, créée en 1957 par Fernand Corteville, après la mort de Sœur Claire (Germaine Blanchard) à Saint-Lambert du Lattay. La Vue de Mélanie le confirme dans son choix de la Règle, car il y reconnait le Yucatan et sa population : « Je vis cette immense plaine avec ses habitants. Dans certaines parties les hommes étaient blancs ; et dans d’autres, ils étaient couleur bois… » Depuis 1980, les Missionnaires de la Mère de Dieu observent la Règle donnée à Mélanie par Notre-Dame de la Salette. Le 15 mai 2010, la communauté des Sœurs missionnaires est érigée en congrégation religieuse.
- Le chanoine Armand Thiéry est professeur de philosophie à l’Institut catholique de Louvain. ↩︎
- « La vie des Apôtres des derniers temps sera muette unissant la vie contemplative à la vie active », article n° 9 de la Règle. ↩︎
- Mère Agnès a adopté ce nom de religieuse en souvenir de Mélanie, Marie de la Croix. ↩︎
- Le couvent lui-même existe toujours, il est occupé par la congrégation des Ermites de Saint-Augustin. ↩︎
- Le chanoine Thiéry a désigné comme Supérieure une femme mariée, une « âme privilégiée », Mme Marie Defoy, qui mourra en 1956. ↩︎
- Lors de leur déménagement à Parc-Heverlee, les religieuses ne sont plus qu’au nombre de six, postulantes comprises ! ↩︎
- Léguée à sa mort en 1930 par un cousin de Louis Massignon. ↩︎
- Témoignage recueilli en 2024. ↩︎
Les fondations de l’Ordre de la Mère de Dieu, du vivant de Mélanie
Les fondations de l’Ordre de la Mère de Dieu, après la mort de Mélanie
L’Ordre de la Mère de Dieu n’aura donc jamais son heure ?