L’Ordre la Mère de Dieu 

Auteur : Jean Mancelon

Introduction

Le 19 septembre 1846, sur la montagne de la Salette, Notre-Dame délivre aux jeunes voyants un Discours public et un Message secret, ou plutôt deux messages secrets, l’un confié à Maximin1, le second à Mélanie2. Discours et Message constituent ensemble l’intégralité du Message de Marie qui se décompose en un « message indifféré », à savoir le Discours public, et un « message différé » : les Secrets de Mélanie et de Maximin. Le chanoine Armand Thiéry, de Louvain, que nous aurons l’occasion d’évoquer remarquait à ce sujet : « Mélanie a affirmé que la Vierge lui a dit deux fois : Eh bien, mes enfants, vous le ferez passer à tout mon peuple. (Une fois elle l’a dit en-deçà du ruisseau, la Sézia, et une fois, au-delà.) Mélanie a ajouté que par une vue intérieure, Marie lui fit comprendre que le dire en deçà concerne le message indifféré [le Discours public] et le dire au-delà le message différé3. »

Or, en même temps que son Message secret, Notre-Dame a dévoilé à Mélanie une Règle qui fait pleinement partie du « message différé » : « Mélanie, ce que je vais vous dire à présent ne sera pas secret : c’est la Règle que vous ferez suivre à mes filles qui seront ici [au sanctuaire de la Salette] lorsqu’elle sera approuvée par les supérieurs. Mes Missionnaires suivront la même Règle. » 

Il s’agit de la Règle d’un ordre religieux nouveau : l’Ordre de la Mère de Dieu qui fait l’objet de la présente intervention. Elle constitue avec les Messages « un bloc infrangible », selon l’expression du chanoine Thiéry.

Nous verrons combien il importe aussi de distinguer entre cette Règle d’origine mariale, car transmise par Notre-Dame à Mélanie, et les Constitutions qui seront rédigées par la bergère de la Salette à Rome, à la demande expresse du Pape Léon XIII, en 1879.

Enfin, il convient d’ajouter – ce qui est rarement mentionné – que Mélanie a bénéficié d’une Vue, lors de l’Apparition mariale, la « Vue du costume et des œuvres auxquelles seront employés les fils et les filles de l’Ordre de la Mère de Dieu ». 

La Règle et la Vue qui remontent au 19 septembre 1946 ainsi que les Constitutions de 1879 forment le fondement de l’Ordre de la Mère de Dieu.


L’Ordre de la Mère de Dieu

La Règle

« Il est caractéristique de voir cette manie nouvelle d’hostilité envers cette Règle si belle… » 

Louis Massignon, 31 mai 1951.

En France, à l’occasion du centenaire de l’apparition mariale, et dans les années qui suivirent, il y eut autant d’admirateurs de la Règle de l’Ordre de la Mère de Dieu que de détracteurs. Et pourtant cette Règle est pleine d’intérêt et, pour qui en reconnaît l’origine mariale, il est hors de doute qu’elle représente un monument de spiritualité chrétienne.

Elle se compose de 33 articles et, dès le premier article, il est question d’aimer son prochain, « dans le pur amour de Dieu4 ».

« Je veux que mes enfants soient nus, dépouillés de tout », demande aussi Notre-Dame dans l’article 7, ce qui donne la hauteur de son exigence à l’égard des Fils et des Filles de l’Ordre de la Mère de Dieu, lesquels « mèneront une vie bien intérieure, quoique laborieuse, unissant la vie contemplative et la vie active » (article 12). L’article 16 précise que « les membres de l’Ordre seront très humbles et très doux envers les séculiers », – Notre-Dame ajoute que « ceux qui seront les plus humbles auront la première place dans le cœur de Jésus ainsi que dans le mien ». De la même manière, « aucun ne tiendra à la propre volonté » (article 17), et « ils seront d’une pureté angélique » (article 18).

         « Mes Missionnaires seront les Apôtres des derniers temps », s’écrie Marie (article 22). Or, on sait que le Message secret confié à Mélanie évoque ces Apôtres des derniers temps à qui Notre-Dame de la Salette lance son appel : « J’adresse un pressant appel à la terre ; j’appelle les vrais disciples du Dieu vivant et régnant dans les cieux ;  […] j’appelle les Apôtres des derniers temps, les fidèles disciples de Jésus-Christ qui ont vécu dans un mépris du monde et d’eux-mêmes, dans la pauvreté et l’humilité, dans le mépris et dans le silence, dans l’oraison et la mortification, dans la chasteté et dans l’union avec Dieu, dans la souffrance et inconnus du monde… » La Règle de l’Ordre de la Mère de Dieu, si elle est observée avec rigueur, est adaptée parfaitement à la mission des Apôtres des derniers temps.

« Que Jésus soit aimé de tous les cœurs ! »

         La Règle se termine sur des articles plus « pratiques ». Article 31 : « Chaque fois que les sujets se rencontreront, l’un dira : « Que Jésus soit aimé de tous les cœurs ! » ; l’autre répondra : « Ainsi soit-il ». Cela est vrai aussi des correspondances. Chaque lettre commence par ces mots : « Que Jésus et Marie soient aimés de tous les cœurs ! » Le dernier article (33) précise, enfin, que « tous les membres [de l’Ordre] porteront une croix comme la mienne ». Il s’agit bien sûr de la Croix qui exhibe le marteau et les tenailles de l’Apparition mariale du 19 septembre 1846.

Le « Congrès » 

         C’est en apprenant que Mgr Fava, évêque de Grenoble, avait rédigé une Règle pour les missionnaires de la Salette, que Mélanie, en résidence à Castellamare, prit la décision d’écrire la Règle « de la Très Sainte Mère de Dieu » 5et de « l’envoyer au Saint-Père. » Ce qui fut fait pendant l’automne 1878. Peu après, elle est confrontée pour la première fois à Mgr Fava, à Rome, en présence du cardinal Innocenzo Ferrieri6, qui ne parviendra pas à convaincre l’évêque de Grenoble de s’intéresser à la Règle de la Mère de Dieu – « Eminence, je n’accepterai la règle de Mélanie que quand l’Eglise m’aura prouvé qu’elle vient de la Sainte Vierge » !

L’audience de Léon XIII

« Léon XIII vous a donné un « laisser passer » 

Le 3 décembre 1878, Mélanie est reçue en audience par le pape Léon XIII qui lui demande « d’aller là-haut », sur la montagne de la Salette « faire connaître la Règle de la Sainte Vierge ». Et, lui faisant remarquer que « quand le bon Dieu daigne donner un règlement de vie monastique, il donne, il communique à la même personne l’esprit dans lequel doit être observer le règlement »7, il lui ordonne de mettre par écrit ce qui deviendra les Constitutions. Comme Mélanie se refuse à rentrer à la Salette, par crainte de Mgr Fava, évêque de Grenoble, c’est à Rome qu’elle les rédigera.

Les Constitutions

         Mélanie a raconté les circonstances de la rédaction des Constitutions dans la communauté des Salésianes romaines (Visitandines), où elle résidera jusqu’au mois de mai. Elle dira aussi : « Les Constitutions sont sorties de ma pauvre ignorance ». Elle en remet les 21 chapitres le 5 janvier 1879. La fin de l’Ordre de la Mère de Dieu, « c’est d’unir les prêtres qui, poussés par l’esprit de Dieu, désirent vivre en parfaite vie commune, sous une Règle, avec les vœux de religion, dans une observance exacte de la loi de Dieu et des conseils évangéliques.

         De plus sont reçues dans cet Ordre de la Mère de Dieu, toutes les bonnes personnes qui, pleines de bonne volonté, veulent servir Jésus-Christ, au prix de quelque sacrifice que ce soit, avec une parfaite abnégation… » (chap. I).

Le Rapport Daum

Mgr Fava avait lui-même à soumettre à Rome sa Règle pour les missionnaires de la Salette. Il faut savoir qu’une première règle avait été rédigée par le chanoine Orcel, qui avait reçu l’approbation des successeurs de Mgr Bruillard, puis avait été remplacée par une nouvelle, de l’autorité d’un vicaire général, nommé Mussel, pendant l’intérim précédant la nomination de Mgr Fava. Celui-ci s’inspira de la première pour rédiger sa propre règle. La Sacrée Congrégation des Evêques et Religieux eut par conséquent à examiner deux Règles pour les missionnaires de la Salette, celle de Mgr Fava et celle de Mélanie. La consultation fut confiée à un père jésuite, le père Daum, qui rédigea un rapport « aussi sot que perfide » (Louis Massignon). « Sot », parce que son auteur ne s’est jamais élevé à la hauteur spirituelle qu’il fallait adopter en la circonstance, et surtout « perfide », en ce qu’il considéra contre la vérité que la Règle de Mélanie ainsi que les Constitutions étaient d’origine mariale, alors que c’est la Règle seule que Notre-Dame avait confiée à la bergère de la Salette le 19 septembre 1846. Dès lors il était facile au père Daum de disqualifier la Règle de Notre-Dame en soulignant les maladresses qu’il rencontrait dans les Constituions, qui étaient de la main de Mélanie. 

Au demeurant, le père Daum estima que le règlement de Mgr Fava n’était pas exempt de maladresses ! Il conclut cependant qu’au prix d’amendements il pouvait être appliqué par les missionnaires de la Salette, mais aussi qu’on communiquerait à Mgr Fava la Règle de Mélanie pour qu’il lui emprunte telle ou telle expression qui lui conviendrait : « Votre Grandeur est autorisée à adjoindre aux Constitutions des Missionnaires de la Salette tout ce qu’elle voudra puiser dans lesdites Constitutions de Mélanie…8»

Seul le « cinquième point » du Rapport se trouvait finalement favorable à l’Ordre de la Mère de Dieu qui laissait la possibilité de la fondation par Mélanie d’un Institut de femmes, « sous sa responsabilité, ainsi que sous celle des Evêques qui sont favorables à son projet9 ».

La Vue

           « En même temps que la Très Sainte Vierge me donnait les Règles et me parlait des Apôtres des derniers temps, je voyais une immense plaine avec des monticules. Mes yeux voyaient tout. J’ignore si c’était les yeux du corps… Mais je serais mieux selon la vérité si je disais que je vis la terre en dessous de moi, de manière que je voyais l’univers entier avec ses habitants, vaquant à leurs occupations, chacun selon son état (non pas tous par justice mais bien par ambition. Et, par un juste châtiment de Dieu, ils étaient en guerre avec eux-mêmes)10 »

C’est durant cette vision que Mélanie fit connaissance des Apôtres des derniers temps, et qu’elle put les décrire dans leur costume et leurs activités. En conformité avec la Règle, et les Constitutions, elle évoque pareillement dans la Vue « les membres de l’Ordre de la Mère de Dieu [qui] faisaient tous leurs efforts pour se dépouiller entièrement de l’esprit du siècle corrompu, s’avancer dans l’amour de Dieu et acquérir les vertus de Notre-Seigneur Jésus-Christ ». 

Même s’il existe une évidente parenté spirituelle, cette Vue se distingue des visions d’Anne-Catherine Emmerich, par exemple, en ce qu’il est question des Apôtres des derniers temps. Ne serait-ce que pour cette raison, ce texte mériterait d’être mieux répandu.


  1.  Le Message secret de Maximin était destiné au Pape. Une fois qu’il le lui a communiqué, Maximin n’eut plus à le protéger de la curiosité des évêques français ou d’éventuels commentateurs plus ou bien inspirés. ↩︎
  2. « L’Eglise a toujours eu le Secret [le Message secret] à l’œil afin de prévenir qu’on en abuse, mais sans rien faire contre » (chanoine Thiéry). ↩︎
  3.  « Comme au Jugement dernier, le Cédron sépare la droite de la gauche, ainsi la Sézia sépare la publicité à donner au différé de celle de l’indifféré. Le cloaque c’est quand on méconnaît le fossé et la séparation des deux rives », Chanoine Thiéry, 1943, inédit. ↩︎
  4.  Ce qui avait attiré cette remarque du père Daum, consulteur de la Sacrée Congrégation des Evêques et religieux, selon qui « c’est trop de demander le pur amour de Dieu. Il suffit d’aimer le prochain pour l’amour de Dieu » ! ↩︎
  5. Mélanie en avait livré deux versions en 1853 et 1876. ↩︎
  6. C’est le même cardinal, préfet de la Sacrée Congrégation, qui avait demandé à Mélanie au sujet du Message secret qu’elle souhaitait publier : « Avez-vous de bonnes épaules ? Les Français surtout vont vous tomber dessus ». ↩︎
  7. Selon les termes rapportés par Mélanie à l’abbé Hector Rigaux, en 1904. ↩︎
  8. Cité par Michel Corteville, II, p. 55. ↩︎
  9. « Quant à l’Institut de Sœur Marie de la Croix (Mélanie), il me semble plus expédient pour le Saint-Siège de laisser Mélanie qui en fait la demande, expérimenter cet Institut. Elle le fera sous sa responsabilité personnelle, ainsi que sous celle des Evêques qui sont favorables à son projet. On pourra ainsi juger à l’expérience le pieux Institut de Femmes qu’elle se croit appelée à fonder. L’épreuve étant faite et la fondation s’étant suffisamment stabilisée, il sera toujours temps pour le Saint-Siège de se procurer les avis des Ordinaires, et d’après que ces avis seront favorables, d’approuver le dit Institut, soit par un Décret de louange, soit par les autres manières d’approbation qui sont d’usages en pareil cas. » ↩︎
  10.  Cf. Ordre de la Mère de Dieu, 1958. ↩︎

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